Dès l’aube, les cueilleuses, d’un geste précis et minutieux, remplissent leurs tabliers de pétales de rose Centifolia avant que la chaleur de la journée s’installe. Entre Terre et mer, Grasse vit au rythme de la cueillette des fleurs à parfum. Et en ce mois de mai plus que jamais. La rose et la reine du mois. Pourquoi ?
Si dans les champs, la cueillette bat son plein, dans les rues de Grasse, elle se décline en bouquets aussi opulants qu’imposants. Expo Rose a fait son cinéma pour fêter ses 50 ans offrant à la population et aux touristes un panel d’activités et d’expériences olfactives à en perdre les sens.
Excellence et savoir-faire
Plus bas dans la vallée, on comprend mieux pourquoi les plus grandes maisons de Parfum ce sont implantées en terre grassoise, démontrant l’excellence de leur savoir-faire.
La dernière en date est celle de la maison Lancôme qui a établi son Domaine de la Rose. C’est un site horticole écologique de 4 ha acquis en 2020. Objectif : développer un refuge de biodiversité, préserver le patrimoine de la terre et ses ressources naturelles et bien sûr et surtout cultiver des plantes à Parfum en agriculture biologique. La rose est à l’honneur, ingrédient identitaire depuis le début de la marque en 1935.
Deux nouvelles compositions la mettent à l’honneur : l’extrait de parfum La Vie est belle Domaine de la Rose (on y perçoit la rose fraîchement coupée en harmonie avec l’iris gourmand) et Mille et une rose, dont la composition est à 97 % d’origine naturelle pour nous transporter dans champ de fleurs fraîches.
Un peu plus loin, les parfums Christian Dior entretiennent les partenariats exclusifs avec des jeunes productrices de Fleurs à Parfum. Le Domaine De Manon et le Clos de Callian consacrent la totalité de leur récolte de rose de mai et de jasmin à la marque Dior. On les retrouve dans J’adore L’Or et J’adore extrait de parfum ou La Colle Noire (collection privée Christian Dior)ou encore Miss Dior Rose Essence. C’est aussi à la maison Dior que l’on doit la rénovation du patrimoine architecturale du château de La Colle Noire à Montauroux, une propriété provençale acquise par Christian Dior en 1951.
Occasion pour le maire de Grasse, Jérôme Viaud, de saluer le dynamisme de la parfumerie auquel il consacre son
énergie. Ici sur la Voix du Parfum :
Des Roses Centifolia sinon rien
À quelques kilomètres de là, près de Pégomas, la famille Mul, des cultivateurs de rose et de jasmin, fournissent la marque Chanel et le mythique extrait numéro 5 avec son jasmin, ingrédients essentiels. L’accord pour la production de roses Centifolia et autres ingrédients emblématiques de nombreuses compétitions Chanel sont également fournis par la famille.
Peu à peu, de nouvelles espèces sont introduite : la tubéreuse, l’iris, le géranium rosat, ingrédient plus difficile à obtenir ailleurs. Ses fleurs sublimes les extraits de parfum de la maison en particulier la gamme Les exclusifs ainsi que le grand Femina Chanel lancé en 2017, Gabrielle, imprégnée de tubéreuse. Chanel est donc la seule maison à intégrer à Grasse la culture de cinq plantes à Parfums sur 30 ha. Les méthodes d’extraction développées sont douces et longues depuis de nombreuses années, comme l’explique Jean-Marie, l’un des distillateurs interviewé pour le Podcast La voix du parfum, il nous partage la passion de son métier pratiqué depuis 30 ans, de père en fils, pour la famille Mul.
Autre marque qui n’est pas un reste dans le pays de Grasse, Louis Vuitton qui a redonné sa lettre de noblesse aux Fontaines parfumées en 2013, domaine peu entretenu datant de 1640. Objectif : implanter son centre de création. C’est la seule marque à avoir son laboratoire au cœur de Grasse, comme en écho à la volonté de s’inscrire dans le temps.
Dans le pays de Grasse, les cultivateurs sont rodés aux exigences des plantes à parfum dont la rose, qui s’épanouissent dans le sol fertile de leur région au climat idéal, bien à l’abri du vent. Jasmin, tubéreuse, mimosa, fleur d’oranger, violette et lavande s’y disputent leurs attentions depuis des siècles. Désormais, tous les maillons de la chaîne du parfum se connaissent et s’entraident, le savoir-faire n’a plus qu’à rayonner.
Du cuir, des fleurs, des parfums
Justement les siècles, les années ont passé : l’histoire de la parfumerie grassoise est ponctuée de rebondissements. Dès le Moyen Âge, elle attire les tanneurs pour le traitement des peaux utilisant une eau de source qui traverse son territoire. Au XVIe siècle, la mode italienne des gants parfumés arrive en France. Une nouvelle corporation, celle des maîtres parfumeurs gantier surgit. À cette époque, la culture des plantes à parfums – rose, jasmin, tubéreuse, ou fleur d’oranger – profite du climat idéal de la région. La senteur du cuir est en effet dissimulée sous les fragrances de ces essences.
Peu à peu la réputation de Grasse se concentre autour de la parfumerie aux dépens du cuir. Les premières fabriques sortent de terre à la fin du 18eème La filière s’industrialise sous le Second empire. Début 19ème, il y a près de 2000 ha consacrés à la culture des plantes à parfum. La ville exporte à l’international et la création des produits finis entretient sa réputation. Lieu d’origine de maisons de Parfums emblématiques (comme Molinard 1849, Fragonard 1926) ces entreprises attirent une clientèle de plus en plus grande.
Mais dans les années 70, les matières de synthèse utilisées dans les créations olfactives fragilisent la filière agricole. Des producteurs locaux, attirés par une main-d’œuvre à bas coût, partent au Maroc en Inde ou en Espagne. La concurrence fait rage avec la création d’autres centres de production à l’étranger. S’ajoute à cela la pression foncière immobilière et le rachat de nombreuses parcelles par des promoteurs ambitieux.
Un dynamisme évident
Depuis les années 90, après l’arrivée de Chanel et d’autres grandes marques montre la volonté évidente de développer le territoire de Grasse et de le consacrer Fleurs à Parfums. La reconnaissance par l’Unesco du territoire de Grasse comme patrimoine immatériel de l’humanité en 2018 marque un tournant : les retombées sont aujourd’hui visibles et le dynamisme est palpable porté avec endurance par le maire Jérôme Viaud et ses équipes.
Aujourd’hui, année après année, on note l’implantation d’autres acteurs qui participent de cette renaissance. Notons les sociétés de composition et de production de parfum comme Mane, Robertet, Accords et Parfums, PCW, Payan Bertrand présentes depuis leur origine : elles sont désormais leaders mondiaux du marché au cœur de ce nouveau centre stratégique. IFF a racheté les laboratoires Monique Rémi début des années 2000 : ils produisent et commercialisent des matières naturelles pour la parfumerie. En 2019, ils installent l’Atelier du Parfumeur, un lieu de création et d’inspiration pour ses parfumeurs. En 2007 Firmenich s’est implanté dans la région et inauguré en 2011 la villa Botanica un laboratoire d’excellence pour ses créateurs. Givaudan en 2018 a acquis la société Expressions Parfumées, une manière de moderniser les laboratoires de la société grassoise.
Quant à la relève, elle semble désormais assurée, tournée vers les jeunes. En 2002 s’est installé l’institut Of Perfumery et en 2018 l’Ecole supérieure du parfum. De nombreuses conférences et visites guidées aux musées de Grasse – Musée international de la parfumerie, Villa Fragonard – et des ateliers olfactifs (comme ceux de Corine Marie-Tosello de Voyage en terre de Parfum) sont proposés ici ou là. Les plus avides de découvrir notre belle parfumerie ont de quoi satisfaire leur curiosité.
Autant de signes visibles d’un élan qui vise une parfumerie verte et vertueuse tout en tenant compte de savoir faire ancestraux. Les jeunes agriculteurs qui s’installent sur le territoire ont bien compris l’enjeu : l’avenir leur appartient.