Paru dans l’Usine Nouvelle – septembre 2019

 » Seine, à Argenteuil (Val-d’Oise). Il faut traverser un jardin de roses, de lys et de jasmin, en pleine floraison en ce début juin, pour accéder à l’école de parfumerie de Givaudan. À l’étage, autour d’un grand plateau, travaillent cinq élèves de différentes nationalités : Aditya l’indien, Alethea la singapourienne, Gaël l’espagnol, Doug l’américain et Agathe la française. Devant eux, quelques fioles, des carnets de notes et des portables. Derrière, au-delà d’une porte en verre qui laisse filtrer d’entêtants effluves alcoolisés, le labo avec son immense orgue à parfums et ses paillasses surmontées d’étagères remplies de flacons. Ensemble, ils sentent et échangent pour mettre un vocabulaire sur leurs sensations. Au cours de leur formation de quatre ans, il leur faudra mémoriser plus de 500 ingrédients et créer des centaines d’accords. Par la fenêtre, on aperçoit un grand bâtiment gris sans fenêtre, le centre d’échantillonnage des produits grande consommation de Givaudan. Il rappelle à ces créatifs qu’ils sont les maillons d’une véritable industrie…

Givaudan, créé par des Lyonnais il y a 125 ans, coté à la Bourse de Zurich, réalise 5,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Depuis quatre ans, l’entreprise, détenue à 15 % par Bill et Melinda Gates, a encore croqué une dizaine de sociétés dans le monde, la dernière étant l’ETI française Naturex. Les 120 parfumeurs maison doivent répondre aux défis de l’entreprise : mondialisation, hausse des cadences de lancement et excellence face aux compétiteurs comme le suisse Firmenich ou l’américain IFF. La première recette de l’école, c’est sa sélectivité. En 2019, 2 500 « aspirants nez » ont tenté leur chance. Six seront recrutés (et rémunérés) après une batterie de tests pour alterner sessions à l’école et stages dans différents départements.

Leurs parcours sont variés : chimie, école de parfumerie comme Agathe sortie de l’Isipca, ou première expérience à l’image de Doug, repéré dans l’équipe de vente de Givaudan pour Procter & Gamble. Alors que l’école comptait essentiellement des Français il y a vingt-cinq  ans, les élèves viennent désormais du monde entier. Ils créeront chacun pour l’une des zones de marché du groupe. « Le parfum, c’est très culturel, explique Eugénie Briot, la directrice des études. Un matin, en arrivant dans les locaux, j’ai senti une odeur de bouillon cube. C’était du fenugrec qui enthousiasmait une élève américaine qui y décelait l’odeur de sirop d’érable d’une assiette fumante de pancakes, quand une Brésilienne, elle, ne jurait que par la papaye trop mûre. Chacune avait raison et réagissait avec ses références. La diversité élargit la palette de chacun. Dans le fond, ce fenugrec pourrait bien ajouter une touche de fruit exotique à un accord. »

Calice Becker, la directrice de l’école de parfum de Givaudan a fait planter un jardin de fleurs et d’herbes aromatiques au pied du bâtiment pour connecter les élèves avec le produit. (photo Luc Perenom)

La nouvelle directrice de l’école Calice Becker – la créatrice de « J’adore » de Dior, l’un des parfums les plus vendus au monde – a dépoussiéré l’enseignement en y intégrant des sciences humaines, des sorties à l’opéra ou encore des visites d’expositions. « Dans l’imaginaire, le parfumeur se promène dans un champ de lavandes, mouillette au vent. Au quotidien, il est plus souvent dans un petit bureau, face à un parking, il faut cultiver son univers intérieur », s’amuse Eugénie Briot, elle-même titulaire d’une thèse d’histoire sur le parfum au XIXe siècle.

L’IA est un support de plus pour la créativité. Sur l’écran tactile, l’élève crée un premier accord à partir de suggestions d’ingrédients autour de familles olfactives.

D’autres innovations sont technologiques. Ce matin, Gaël, le jeune espagnol, cherchait une base qui marierait du floral, du fruité et du poudré, il s’est appuyé sur Carto, un dispositif d’intelligence artificielle, conçu par Calice Becker dont les algorithmes font des propositions à partir de 288 ingrédients synthétiques ou naturels, des plus courants aux plus rares. On peut changer les proportions des ingrédients en modifiant la taille de leur cercle sur une sorte d’iPad géant relié à un robot mélangeur. Gaël a sorti sa fiole de l’armoire-robot et rejoint sa paillasse. Le travail ne fait que commencer.

La balance est l’un des principaux outils du nez, car dans l’équilibre d’une composition, tout est affaire de proportion. Pour entrer dans l’école, il faut réussir un petit test de mathématiques.

Une fois l’échantillon prêt, il passera de multiples étapes avant une version définitive. La principale qualité du parfumeur est la résilience face à l’échec et aux critiques.

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